La femme qui ne savait pas nager

Août 26

Dans un pays de soleil et de mer vivait un maître soufi de grande renommée. Il attirait à lui des centaines de personnes venues bénéficier de sa présence. Auprès de lui vivait une dizaine de disciples, qui dispensaient à leur tour l’enseignement de leur maître. Il n’y avait qu’une seule femme parmi eux. Vint le jour où le maître mourut.
Les disciples hommes auraient bien voulu se débarrasser de la femme, mais comme elle était d’une très grande érudition et qu’elle avait une présence spirituelle indéniable elle avait autour d’elle de nombreux élèves. Sa renommée avait dépassé les frontières et il était impossible de l’évincer sans créer d’incident.
Un jour la dizaine de disciples fut conviée à diriger une cérémonie très importante sur une île lointaine. Ils étaient tous dans une barque et loin du rivage quand l’un d’eux s’aperçut qu’ils avaient oublié de prendre un livre indispensable pour la cérémonie. Ils étaient très ennuyés car le temps était compté. La femme disciple leur dit alors : « ne vous inquiétez pas, mes frères, je vais le chercher ». Elle sortit de la barque, marcha sur l’eau à une vitesse incroyable et disparut sur la berge.
Les hommes se regardèrent et l’un d’eux, en haussant les épaules, dit aux autres : « la pauvre! Elle ne sait même pas nager! »

Mulla et l’humour

Août 22

Mulla était gravement malade et tout son entourage pensait qu’il allait mourir. Sa femme portait le deuil et se lamentait.
Lui, restait imperturbable.

Mulla, demanda l’un de ses disciples, comment se fait-il que tu te montres si calme face à la mort ? ?

C’est très simple, répondit Mulla. Je me dis que vous avez l’air tellement misérable que, lorsque l’ange de la mort entrera dans la pièce, il se trompera probablement de victime…

Le pot fêlé

Août 08

Une vieille dame chinoise possédait deux grands pots, chacun suspendu au bout d’une perche qu’elle transportait, appuyée derrière son cou. Un des pots était fêlé, alors que l’autre pot était en parfait état et rapportait toujours sa pleine ration d’eau. À la fin de la longue marche du ruisseau vers la maison, le pot fêlé lui n’était plus qu’à moitié rempli d’eau.

Tout ceci se déroula quotidiennement pendant deux années complètes, alors que la vieille dame ne rapportait chez elle qu’un pot et demi d’eau. Bien sûr, le pot intact était très fier de ses accomplissements. Mais le pauvre pot fêlé, lui, avait honte de ses propres imperfections, et se sentait triste, car il ne pouvait faire que la moitié du travail pour lequel il avait été créé.

Après deux années de ce qu’il percevait comme un échec, il s’adressa un jour à la vieille dame, alors qu’ils étaient près du ruisseau.  » J’ai honte de moi-même, parce que la fêlure sur mon côté laisse l’eau s’échapper tout le long du chemin lors du retour vers la maison « .

La vieille dame sourit :  » As-tu remarqué qu’il y a des fleurs sur ton côté du chemin, et qu’il n’y en a pas de l’autre côté ? J’ai toujours su à propos de ta fêlure, donc j’ai semé des graines de fleurs de ton côté du chemin, et chaque jour, lors du retour à la maison, tu les arrosais. Pendant deux ans, j’ai pu ainsi cueillir de superbes fleurs pour décorer la table. Sans toi, étant simplement tel que tu es, il n’aurait pu y avoir cette beauté pour agrémenter la nature et la maison. « 

Choisir la bonne ivresse

Juin 28

« L’homme est né pour l’ivresse. Quand j’étais jeune, je me répétais en boucle le petit poème en prose de Baudelaire sur la nécessité de l’ivresse : « Enivrez-vous sans cesse ! De  vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Que nous en soyons conscient ou non, cette recherche de l’ivresse motive tout ce que nous faisons. La recherche du paradis perdu, la quête du Graal ou l’engagement mystique ; l’éblouissement dans les voyages, les sports extrêmes, les repas gastronomiques ; ou, plus prosaïquement, la course à l’argent, au pouvoir, à la reconnaissance sociale, ou le besoin d’amour, la sexualité et l’alcool, ainsi que les addictions à la consommation ; tout n’est que recherche d’ivresse. Transcender l’ordinaire, le banal, le poussiéreux, pour un jaillissement de plénitude qui, plus ou moins, nous comble, c’est cela que nous voulons tous vraiment.

L’utilisation de la drogue n’est qu’une forme particulière (hélas très destructrice) de cette quête unique qui taraude le tréfonds de l’être humain. Moins destructrices, toutes les approches sont néanmoins insatisfaisantes et causes de souffrance. Alors, existe-t-il une « bonne ivresse », qui comble en permanence sans effet secondaire ?

Toutes les traditions la pointent, l’indiquent, la nomment et décrivent des chemins pour l’atteindre. Elle est dans la connaissance de soi, dans l’expérience de sa nature essentielle, la reliance à la source de vie. C’est là que se trouvent de façon illimitée l’amour et la connaissance, la paix et la liberté. C’est là qu’est la source de la joie qui conduit à l’ivresse. C’est le secret de la vie. »

Alain Chevillat, Source n°19.